Aug 20, 2021

Dans la dèche

"c'est un bonheur de rêver, et c'était une gloire d'exprimer ce qu'on rêvait"

(Baudelaire)

"le moindre de mes soucis est de me trouver conséquent avec moi-même"

(Breton)

"j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer - oui - c'est qu'on est dans la dèche - ah ça alors - et j'ai une bonne nouvelle aussi - quoi, après cela? - tous y sont déjà sans exception - mais pour une bonne nouvelle c'en est une, énorme"


(bon, on continue - un peu bien sûr - avec "Sortir du puits")



Le soleil ne résout pas tous les problèmes de l'homme. Tant s'en faut. La seule chose qu'innombrables siècles nous apprennent: l'homme ne peut que supporter le supportable. Faudrait-il y ajouter que le soleil lui-même est insupportable? Il s'en faut de (très) peu pour qu'on ait envie de dire qu'il n'y a pour lui aucun support. Mais il faut vivre pourtant et pour autant.

Quelques coups d'oeil inopinés, ces jours-ci (j'ai une grande peur pour les miroirs de toute sorte, sans savoir vraiment pourquoi, peut-être à cause de l'horreur des choses trop lisses et glissantes) me font penser que je ressemble de plus en plus à quelqu'un, qui exactement je ne sais plus. C'est un curieux sentiment, comme s'il y a une transformation, si toutefois les transformations sont possibles. Il existe un seul effroi plus grand que de ressembler à quelqu'un d'autre: celui d'être soi-même. Le jour où on se reflète dans une surface polie ou aquatique tout comme on est, hors de doute, tout sera fini à coup sûr. Évitons l'évidence, c'est la grande mission de notre carrière de vie.

On doit toujours jouer à cache-cache tout seul, sinon

sinon quoi? je ne sais pas; décidément, décidément

Il m'est arrivé, des fois, de lire sur un support électronique (mais quel terme). Je ne suis pas difficile, en général, et il ne me faut pas absolument des livres traditionnels, genre Gutenberg, pour pouvoir lire. Mais il est bizarre quand on lit dans la nuit, et cela même sous une lampe: l'écran se transforme, le fond devient tout noir et les lettres, blanches. Et les lettres blanches possèdent toujours un aura, aussi étrange soit-il, c'est un fait. Il est à signaler que sauf la Bible (qu'on ne lit jamais, en règle générale), les livres contenant des lettres trop illuminées sont dangereux (même pour la santé). On ne saurait assez louer le soleil d'être insupportable.

Je ne suis pas près d'être un admirateur inconditionnel du surréalisme (je veux dire la poésie), que je trouve curieusement très rigide, par manque paradoxalement d'ondulations, néanmoins je lis (avec application, comme un devoir, si ce n'est pas un supplice) André Breton de temps en temps: comme il insiste si fortement sur les choses magiques, il se peut que je trouverais une solution pour mes images miroitantes dans ses écrits. Bien sûr que rien n'est moins certain.

Mais lisons ceci, né de sa plume: "Ô théâtre éternel, tu exiges que non seulement pour jouer le rôle d'un autre, mais encore pour dicter ce rôle, nous nous masquions à sa ressemblance, que la glace devant laquelle nous posons nous renvoie de nous une image étrangère." Et tout juste après: "L'imagination a tous les pouvoirs, sauf celui de nous identifier en dépit de notre apparence à un personnage autre que nous-même." Quelques lignes plus loin, le soleil fait son apparition: "Même pour eux le soleil des morts a beau resplendir, les vivants se portent toujours à fond de train au secours de l'insecourable." C'est quand "[Il est] dans un vestibule de château, [sa] lanterne sourde à la main"; j'ai pris ces phrases de Point du jour, recueil de textes dits "divers" ou même "de circonstances" de Breton, ouvrage daté de 1934.

Rodomontades, cela? Mais non, c'est très charmant et clair.

J'avoue, j'affirme qu'au moment de commencer ce texte ("Le soleil ne résout pas" etc.) je n'ai pas encore lu Point du jour, ignorant que je suis de l'oeuvre de Breton, que je ne touche que d'une manière périodique; vous imagineriez facilement mes sueurs froides en constatant ce qu'il avait écrit. Le magnétisme, encore lui. Ce phénomène, au demeurant, est encore une des choses principales par lesquelles le surréalisme attire. N'a-t-il pas, c'est-à-dire Breton lui-même, raconté que dans un moment de méchanceté, il avait évoqué le nom de Paul Claudel (qu'il tient en horreur) pour entendre dans la journée même - ou plutôt le soir - la nouvelle de la mort du grand poète? (L'histoire est dans Perspective cavalière, autre recueil de textes divers, mais établi pas à son initiative, à moins qu'elle ne soit dans Les Pas perdus, encore un autre ouvrage du même genre: c'est dire que Breton est à quel point divers: je ne dis rien du quatrième livre, La Clé des champs). Un autre exemple, très insignifiant et futile celui-là: un jour que je lisais Breton et rencontrais le nom de Maxime Alexandre, un personnage obscur, quelques heures plus tard j'ai trouvé un livre du dernier.

Il est peu probable mais Breton peut aussi être très émouvant, surtout quand il racontait dans quelle misère il est tombé à la suite de la disparition de ses tableaux préférés, notamment celui de Chirico.

L'histoire de ce tableau Chirico, c'est à pleurer. Passant en bus devant une boutique, le jeune Breton l'a vu à la vitrine, il est descendu tout de suite pour le regarder de près. Il a pu l'acheter et puis, par la suite, le tableau est revenu à cette même vitrine lors d'une exposition et un autre homme est descendu d'un bus (peut-être à toute allure) pour le voir: personne d'autre qu'Yves Tanguy. Ce n'est pas une histoire de badauds artistiques. Se trouver dépossédé d'un tel tableau, quel malheur.

Breton se nourrit, se cultive même des choses ésotériques, avec grande assiduité - un peu trop à mon sens. Il connait à fond tous les gnostiques, Valentin d'Alexandrie e tutti quanti, et compte parmi ses nombreux amis Pierre Mabille (il a beaucoup d'amis parmi lesquels le fils de Trotsky: il est un homme très entouré). Il existe toutefois des domaines étranges où le trop consiste exactement au trop peu, les deux se ressemblent tellement, à s'y méprendre. Quel genre de miroir, de glace à nous dire cela?

N'empêche, on doit jouer à cache-cache tout seul.

Les phrases de Breton peuvent être d'une grande beauté, un exemple: "peut-être mangerions-nous moins de pommes", il l'a écrit en bon lecteur de Lichtenberg, peut-être. Cette phrase deviendrait prophétique si à la place des pommes il ne mettait rien. D'ailleurs il est divers mais souvent peu divertissant, et c'est normal, aucun pape ne l'est jamais.

Peut-être trouverait-on le vrai Breton, du moins le Breton le plus proche de lui-même (pas trop inconséquent) dans des lettres (nombreuses) qu'il a rédigées, celles adressées à Simone Kahn ou bien celles pour sa fille Aube, mais surtout dans les lettres à son patron Jacques Doucet le couturier. À moins que tout cela n'ait aucune importance.

Il était plus ou moins dans la dèche à l'époque, et comme tout grand esprit, il l'a trouvée désolée et désertique, mais aussi un brin désopilante.

Le pire étant à venir, pour toujours.


sidéré, je me regarde dans la glace: il me semble bien qu'un Russe me darde de son regard narquois






désolé & désertique

Sortir du puits

On n'en finit pas

Anti-paradoxes

Sur Barthes (1)


No comments:

Post a Comment